1985, LUGAND Jacques et VIGUIER Camille Ch., Préface du catalogue de l'exposition du Musée des Beaux-arts de Carcassonne

C'est au monde antique que me paraît se rattacher tout l'art de Martine, non point à cette antiquité polie et lustrée des Vénus et des Apollons réglementaires de nos manuels scolaires, mais à cette antiquité vivante, désespérée et croyante, des enfants de Niobé et de ceux des récits bibliques.

 

Et c'est ainsi qu'en pénétrant dans la Galerie Bénézit, en 1980, où se trouvaient rassemblés plusieurs bronzes de Martine, par u ne étrange correspondance, mon imagination s'en fut au musée de Pompéi où certains de habitants ont été moulés par l'ingéniosité italienne alors qu'ils avaient été pris sur le vif par la cendre brûlante dans leur fuite et leur suprême désespoir.

 

Prendre sur le vif, c'est la principale qualité de l'art de Martine, mais nous savons tous que L’instantané, dans la machine merveilleuse, et rarement réussi alors que le secret de l'artiste, son don particulier, c'est de saisir l'insaisissable et de fixer la vie et le mouvement à son point extrême de tension.

 

Et ne nous trompons pas : les portraits de Martine qui nous regardent fixement, comparables à ceux de Soutine ou de Zuloaga, étouffent de vie intérieure autant que ses sculptures; ils portent en eux une mission, u ne révélation. 

 

Cette révélation ne paraît-elle pas aussi contenue, avec tout le savoir du monde, dans ces grands livres ouverts d'une autre époque, sans âge, amoncelés, entassés, aux nombreuses colonnes de texte, aux pages ivoirées par la moiteur des doigts, tournées et retournées par les mains, instruments fidèles de la pensée.

 

Rêve étrange, obsession certainement, le livre, avec un grand "L", qui, ouvert contient tout et fermé ne révèle rien, se trouve ainsi en rapport direct avec la main. Les tableaux de mains de Martine sont certainement uniques dans l'histoire de l'art.

 

Bien sûr, on pense à Dürer dont la représentation de mains ointes est toute une prière, aux sensibles études d'Ingres, aux terrible mains coupées de Géricault, mais jamais les mains multipliées sur une même toile ne deviennent un appel , une émouvante prière de notre humanité souffrante, un chant d’allégresse, auxquelles pourrait correspondre la main de Dieu, puissante et rigide, sortant des nuages et désignant 'offrande d'Abel, au portail de Saint-Gilles.

 

L'art de Martine est indépendant, sans véritable influence, pratiquement inclassable dans les "-ismes" des groupes ou écoles contemporaines. Claude Roger-Marx a justement écrit d’elle "qu'elle n'en faisait qu'à sa tête". N'est-ce pas là l'essentielle et unique qualité qui permet de reconnaître le véritable artiste ?

 

Jacques LUGAND

 


 

 

 

Après l'exposition d'art contemporain des 109 peintres et sculpteurs, la rétrospective Gabriel Couderc, la présentation par le Club Soroptimist de six femmes peintres, le Musée des Beaux-Arts de Carcassonne accueille l'oeuvre d'un grand artiste peintre et sculpteur, MARTINE. Martine, qui a déjà connu un vif succès dans les m usées de Tours et de Melun en 1982, était déjà introduite en Languedoc· Méditerranéen par .Florence Marinot dont les générosités envers les musées du Golfe du Lion ne se comptent plus. Il appartenait à la Ville de Béziers, par le zèle éclairé de mon collègue et ami Jacques Lugand, la volonté très affirmée de promouvoir l 'art contemporain de ses édiles, son Maire, Monsieur Georges Fontès, et le Docteur Jacques Boyer, Maire-Adjoint Délégué au Cadre de Vie, de présenter la première, en son Musée des Beaux-Arts, le saisissant ensemble des 90 oeuvres de Martine.

 

Carcassonne est bénéficiaire de cette action culturelle biterroise pour laquelle le dévouement de Jacques Lugand s'est déployé, comme à l'ordinaire, sans limites. 

Notre ville, qui a déjà reçu les libéralités de Florence Marinot, devient ainsi pour un temps, grâce aux oeuvre de Martine MARTINE, l'émule de Troyes où resplendit, grâce à la science et au goût de Philippe Chabert, l'admirable donation Pierre Lévy.

 

L'artiste que nous exposons maintenant avait vécu dès son enfance parmi ces chefs-d’oeuvre de l 'art de la première moitié du XXème siècle, qui lui ont donné une très vaste culture artistique éminemment ouverte à l'art contemporain. Après Soutine, Derain et Dufresne, Martine offre à son tour un Tempérament très indépendant. A près eux, elle recherche l'expression qu'elle fait prévaloir sur les recherches formelles. Et elle la trouve avec un rare bonheur.

 

Claude Roger-Marx décrivait les toiles de Martine qui, tout en conservant un caractère d'austérité, de gravité même, témoignent d'une allégresse, d'un tonus, d'une véhémence révélatrice d'un peintre qu'il déclarait "fougueuse de tempérament" . Dans la plupart de ses sculptures qui sont des corps humains, elle recherche leurs possibilités indéfinies dans la souplesse, à l'instar de Rodin, loin des contraintes et des conventions. Ce langage plastique se retrouve aussi bien dans les statuettes que dans les oeuvres qui appellent l'espace et même le plein air.

 

La Ville et le Musée de Carcassonne se réjouissent d'exposer à leur tour les oeuvres parfaitement abouties de Martine, éminent artiste contemporain.

 

 

Camille Ch. VIGUIER
Conservateur du Musée des Beaux-Arts de Carcassonne